Ce texte a été écrit dans le cadre d'un défi lancé par le défunt site Fabrique à Textes. Les consignes étaient les suivantes :
Thème : Un nouveau départ
Nombre de mots : 1000 mots environ.
*
Au départ, j'étais
sortie prendre l'air. J'étouffais au cœur de ce studio trop petit.
J'étais prisonnière de cet endroit où la chaleur était
impardonnable l'été tout comme l'était le froid en hiver. J'aurais
pu chercher un autre lieu où vivre, mais mon métier ne me le
permettait pas. J'étais condamnée à rester là tant que je
n'aurais pas appris à vivre autrement qu'au travers d'un travail que
j'adorais autant que je le haïssais.
Certains jours, j'étais
fière de l'accomplir. J'avais la sensation de me battre pour une
cause juste. Je me moquais du regard d'autrui. Je ne me souciais pas
des on-dits. Je faisais mon travail. Puis venait les mauvaises
périodes, celles où les cadavres ont un visage trop enfantin, où
la souffrance des mères vous obsèdent presque autant que la cruauté
des hommes. Je me souviens de ces instants passés à essayer de
résoudre ses affaires sans y parvenir vraiment.
Nous n'avions pas le
matériel des experts. Nous devions supporter la pression médiatique,
celle qui trahissait nos pistes ou nous maudissait d'être aussi
lents. Si nous étions prêt à reconnaître notre manque de
perfection, le monde semblait refuser de nous donner le droit à
l'erreur. Alors la déprime venait de nous guetter. J'ai vu des amis
sombrer dans l'alcool pour oublier les âmes brisées, les jeunes
fauchés trop tôt et les injustices. D'autres ont préféré
abandonner la partie, parfois définitivement.
Au départ, je leur en
voulais. J'étais pleine d'espoir. Je me croyais forte. Puis la
réalité m'a giflée un matin. Je me suis retrouvée à devoir
l'encaisser en silence avant de craquer à mon tour. Je suis rentrée
dans l'un de ses bars où je me suis perdue certains soirs. Je
n'étais jamais seule, toujours accompagnée d'un verre suivi
d'autres. Je ne rentrais pas en voiture, mais seule ou alors au bras
d'un inconnu. La nuit était douce...
Sauf que le réveil
était douloureux. Je n'aimais pas redescendre sur Terre. Parfois
j'ai songé à prendre une autre voie, mais le désir de protéger
était trop fort. Alors j'ai continué sur cette route sans me
soucier de la destruction de mon âme. Si c'était le prix à payer
pour un monde plus juste, j'étais prête à l'encaisser.
Mais peut-être était-ce
parce que je n'avais aucune autre existence à côté ?
Ce matin ne changerait
rien. Cette sortie, non plus. Je ne cherchais qu'à faire une pause.
Mon regard s'amusait à se perdre sur les murs froids de la ville
dans laquelle j'étais enfermée. Je trouvais les boutiques sans le
moindre charme, regrettant les devantures de celles d'autrefois.
Cette pensée me donna la sensation d'être l'une de ses vielles
connes que je m'étais jurée de ne pas jamais devenir.
Un sourire se dessina
sur mes lèvres.
Puis je me perdis du
côté du ciel prisonnier derrière des nuages plus blancs que gris.
Aucune pluie ne semblait décider à se déverser pour autant. Le
soleil ne voulait juste pas sortir. Ce n'était pas grave, cela
n'empêchait pas d'apprécier la beauté de certains espaces verts.
Ils n'étaient pas aussi charismatiques que les forêts que l'on
pouvait découvrir lors des promenades dominicales, mais ils
offraient cette bulle d'air nécessaire aux citadins en manque de
nature.
Je pénétrai à
l'intérieur de l'un d'eux, un de ses parcs où la fontaine ne se
déploie pas qu'au printemps. J'admirai les arbres dont le feuillage
oscillait entre le jaune et l'orange quand il n'avait pas déjà
disparu. Je laissai mon regard dériver vers les jeux d'enfants...
Et la douleur frappa.
Brutale. Inexplicable.
Je sentis le brouillard
m'envahir. Des cris résonnèrent autour de moi. Un autre corps tomba
devant moi. Je compris alors que j'étais à terre sans la moindre
force pour saisir le mal dont je souffrais. Je n'étais plus capable
d'analyser la situation, plus capable de penser de manière sereine.
La panique m'avait envahie.
Mon esprit était en
train de s'envoler. J'étais tirée par quelque chose, une force
contre laquelle je n'arrivais pas à lutter. Je ne voulais pas
partir. J'étais effrayée à l'idée de ne plus jamais pouvoir
revenir. Je ne voulais pas fermer les yeux. J'avais peur de cesser
d'exister. Alors un cri s'échappa de ma tête. Il ne fut qu'un
murmure lorsqu'il traversa mes lèvres. Je venais d'appeler quelqu'un
au secours, le dernier parent qu'il me restait, ceux qui vous
protègent durant l'enfance et qui vous rassurent...
Mais il ne vint pas.
L'obscurité remporta la
victoire. Puis tout devint silencieux. Le Néant.
Une éternité s'écoula.
Ou peut-être une seconde. Quand je rouvris les yeux, je ne sus pas
où j'étais. Je voyais juste un corps allongé sur le sol. Son pull
était imprégné d'un sang plus sombre qu'éclatant. Je fixais sa
blessure en silence, hypnotisée par elle comme je l'avais été lors
de mes premières missions. J'aurais dû bouger pour l'aider,
j'aurais dû appeler du secours sauf que mon esprit refusait de
répondre.
Et les secours
débarquèrent. Je ne les sentis pas me bousculer. J'eus même la
sensation d'être traversée. Troublée, je sortis de ma
contemplation pour chercher à les interpeller jusqu'à ce que mon
regard capte quelque chose d'anormal.
Ce corps était le mien.
Il était surmonté de mon visage. Mes paupières n'étaient même
pas closes. J'aurais presque pu me fixer. Je me fixai... Je reculai
brutalement frappée par l'horreur de la situation. J'étais en train
de mourir. Je me voyais mourir.
J'étais morte.
Je sentis la douleur
s'évaporer. Mon cœur cessa de battre. Ils cessèrent aussi de
lutter pour me ramener. C'était fini.
Fini.
Qu'allais-je devenir ?
Allais-je disparaître ?
- Sis' tu es enfin là !
Un cri d'enfant. Je me
retournai brutalement pour découvrir sa propriétaire. Ma petite
sœur, partie trop tôt, se jeta dans mes bras. Ses yeux brillaient
sous l'effet de la joie ou peut-être des larmes. Sans me poser la
moindre question, je répondis à son étreinte. Je l'avais
retrouvée.
- Viens, je vais te
montrer ta nouvelle maison.
Sa main saisit la
mienne. Elle m'entraîna vers une demeure, celle de ma grand-mère,
qui nous attendait sur le seuil.
Et je me sentis enfin
sereine.
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire